Article publié le 01 Septembre 2022 07:00:00
par Sophie MAXENCE

L’errance animale, un véritable fléau sur l’île de la Réunion

©Solidarité-Peuple-Animal

Fin avril 2022, sur l’île de la Réunion, un homme de 54 ans a été retrouvé mort sur les hauteurs de la ville de Saint-Paul située sur la côte ouest. Le corps de la victime présentait des traces de morsures de chiens mais l’autopsie révélera quelques jours plus tard que le décès n’était pas dû à une attaque d’animaux. Ce drame n’a cependant pas manqué de soulever, une nouvelle fois, l’épineuse problématique des chiens errants sur l’île et de réveiller de nombreuses tensions. Dès le lendemain de la découverte macabre, les intercommunalités de la Réunion ont ainsi décidé de mener une vaste opération de capture des chiens des rues. En un weekend, une trentaine de chiens errants ont été pris par la fourrière. Cette décision a soulevé l’indignation de nombreuses personnes sur place, condamnant une réaction « à chaud », alors même que les causes de la mort du quinquénaire n’étaient pas encore établies. Finalement, les autorités ont permis aux associations locales de protection animale de s’organiser pour faire sortir, d’urgence, les chiens capturés.

En moyenne, 7250 chiens et 2250 chats sont euthanasiés chaque année

Sur l’île, l’errance animale, particulièrement celle des chiens, est un véritable fléau. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon la préfecture, on estime « la population canine dans l’espace public à environ 73 000 chiens, dont 42 000 chiens errants sans propriétaire et 31 000 chiens divagants. En moyenne, 7250 chiens et 2250 chats sont euthanasiés chaque année, chiffres à comparer aux 50 000 chiens et chats euthanasiés en France. La Réunion représente donc à elle seule 19 % du total national d’euthanasies. »(1)

L'errance animale concerne les chiens, et  les chats également nombreux dans les rues, ici dans la commune de Saint-Benoît ©Solidarité-Peuple-Animal

Derrière ces chiffres se trouve une réalité catastrophique pour les animaux. Il y a dans les rues et sur les routes de nombreux croisés, appelés royal Bourbons, livrés à eux-mêmes, le plus souvent apathiques et faméliques. « Devant l’ampleur du phénomène, les délais d’euthanasie pour un chien non réclamé ont été réduits à 4 jours à la Réunion, contre 8 en métropole, détaille Gaëlle, à la tête de l’association Sauvade. Il y a très peu d’identification et les chiens capturés sont rarement réclamés, poursuit-elle. Pourtant on retrouve en fourrière essentiellement des chiens sociaux, habitués à l’homme. Les autres sont plus difficiles à attraper. » Les problématiques d’errance animale – nuisances près des poubelles et des points de nourriture ; meutes de chiens en chaleur ; insécurité - entraînent également l’hostilité d’une partie de la population et les cas de maltraitance sont nombreux. Face à l’ampleur du phénomène, les associations de protection animale agissant sur place sont débordées.

« Il n’y a pas toujours la même approche de l’animal de compagnie à la Réunion qu’en métropole. Ici, les animaux sont davantage considérés pour leur utilité. L’animal ne fait pas partie de la famille, on ne le stérilise pas, on ne l’identifie pas » explique Sadia Sprang, habitante de la Réunion et présidente de l’association Vivre Libre, qui constate cependant des changements depuis son arrivée sur l’île. « Il y a par exemple beaucoup plus de vétérinaires maintenant qu’il y a trente ans ; on voit aussi plus de personnes se balader avec son chien en laisse. Mais tout cela évolue lentement. »

« On se trouve vite confronté à une reproduction de masse »

La question de l’errance animale relève d’une responsabilité « humaine et collective » comme l’indique un groupement d’associations dans une tribune publiée en réaction aux événement d'avril dernier. Le texte souligne que l’errance canine est en effet « alimentée en permanence par la reproduction de chiens errants, sans propriétaire, et de chiens divagants, avec propriétaire, non stérilisés et majoritairement non identifiés ». A cela s’ajoutent les chiens abandonnés. « On se trouve vite confronté à une reproduction de masse, détaille Gaëlle. Au début, les chiens qui naissent dehors sont sociaux, mais au fur et à mesure des générations, ils deviennent de plus en plus éloignés de l’humain. »

Deux chiens sans maître, sur la route des laves à la Réunion @Solidarité-Peuple-Animal

L’errance canine entraîne ainsi de nombreux problèmes, en plus de la misère animale générée. Si la plupart des chiens errants croisés à la Réunion sont débonnaires et craintifs, les morsures existent. En 2017 on estimait à 27 000 le nombre de personnes mordues en une année. Toutefois, plus de la moitié de ces morsures provenaient non pas de chiens inconnus, mais de « chiens de la famille ou de l’entourage. Si la majorité de ces morsures se révèle sans gravité, leur nombre montre un problème certain à la fois dans l’espace public et privé » précisent les résultats d'une étude menée entre 2017 et 2018 (2). En outre, des attaques de chiens envers des troupeaux d’ovins ou de caprins ou bien encore d’élevages de volailles sont régulièrement observées, sans compter les nombreux cadavres d’animaux ramassés sur les réseaux routiers réunionnais, qui sont autant d’accidents potentiels pour les conducteurs.

Face à cette situation, un plan de lutte contre l’errance animale a été lancé en 2017. Il a été reconduit par l’État pour trois années (2020 à 2022) avec un budget de 2 millions d’euros, dont 200 000 euros par an, sur trois ans, alloués à un renforcement des campagnes de stérilisation. Mais pour les associations de protection animale, ces mesures restent insuffisantes. « Les campagnes de stérilisation ne sont pas très efficaces et limitées à deux animaux par an et par foyer. On voit plus d’argent dépensé pour la gestion de la fourrière animale que pour les stérilisations, et ça c’est dramatique » déplore ainsi Gaëlle de l’association Sauvade.

« Tous les acteurs se sont enfin réunis autour de table »

À la suite de la découverte macabre et de la capture massive de chiens à Saint Paul, des réunions de travail ont été organisées entre les autorités et les associations locales. « Ces réunions ont été organisées avec des représentants des intercommunautés, de la préfecture, la Daaf (3), de la police et de différentes associations, détaille Sadia Sprang de Vivre Libre. Tous les acteurs se sont enfin réunis autour de table mais tout reste très lent. » L’événement a également permis de rassembler les différentes associations de protection animale présentes sur l’île, comme l’explique Sadia Sprang : « Nous avons créé un groupe Facebook pour nous organiser pour sortir les 27 chiens de fourrière, qui est resté actif. Maintenant, on est un peu plus soudé même si ça reste difficile. Notre objectif commun est d’aider l’animal. Ce sont les premiers pas. »

Unies, les associations pourraient notamment renforcer les actions de sensibilisation, mais la tâche à accomplir est énorme. « Les associations à elles seules ne peuvent endiguer l’errance animale à La Réunion » rappelle ainsi la tribune interassociative. « Il faudrait changer la dynamique pour que les associations puissent être plus entendues et ne plus subir ce problème mais devenir actrices. Pour ça il faut un appui des pouvoirs publics » souligne Gaëlle de l’association Sauvade.

(1) Mot du préfet de la Réunion dans le cadre d’un guide adressé aux maires de l’île en juillet 2020

(2) Étude menée par l’EPLEFPA-CFPPA de Saint-Paul de juin 2017 à juin 2018

(3) La direction de l'Alimentation de l'Agriculture et de la Forêt (DAFF)

 

LES BESOINS
Il existe plusieurs moyens de soutenir les associations œuvrant localement :
- Les adoptions : beaucoup se déroulent en métropole car sur place les acquisitions via une association ou un refuge sont peu courantes.
- Les voyageurs : pour rendre possibles ces adoptions, les associations ont besoin de personnes munies de billets d’avion pouvant transporter les animaux en cages entre la Réunion et la métropole.
- Les soutiens financiers, sous forme de dons ou de parrainage. Les associations de la Réunion sont confrontées à des coûts élevés, notamment pour des frais vétérinaires liés aux accidents de la route ou bien encore aux maladies tropicales.
- Les familles d’accueil, sur place mais également en métropole.
Pour plus de renseignements, vous pouvez contacter les associations Sauvade et Vivre libre.