Article publié le 22 Décembre 2022 16:00:00
par Sophie MAXENCE

Les petites associations en péril face aux dettes vétérinaires

« À ce jour, nos dettes chez les différents vétérinaires avoisinent les 11 000 euros. » Comme beaucoup de petites associations de protection animale indépendantes, An Ti Loened - La maison des Animaux, dont le siège se situe en Seine-et-Marne (77), tire la sonnette d’alarme. « On ne peut plus prendre d’animaux tant que nous n’avons pas épongé nos frais vétérinaires, sinon, on ne s’en sort plus. C’est la première fois que l’on se trouve dans une telle situation », déplore Sabrina Gros, la présidente.

L’année 2022 s’achève ainsi sur de grosses difficultés financières dans le monde de la protection animale alors que le taux d’inflation en France atteignait les 6,2% en novembre dernier. Asphyxiées par la hausse des prix, les associations peinent - plus qu’à l’accoutumée - à faire face aux dépenses de soins de leurs animaux. « En ce qui nous concerne, ce sont uniquement les frais vétérinaires qui creusent notre budget car, pour le reste, nous nous en sortons plutôt bien, poursuit ainsi Sabrina Gros.  Nous devons faire face à l’augmentation des tarifs, notre clinique ayant indexé ses prix sur l’inflation. Or nous avons eu beaucoup d’animaux à charge, avec des dépenses « courantes » liées à l’identification, la vaccination et la stérilisation, auxquelles s’ajoutent de nombreux soins, parfois lourds. La plupart de nos animaux viennent de la rue et sont en très mauvais état, tandis que ceux qu’on nous abandonne ont également de nombreux problèmes. Ce qui était moins le cas avant. »

Il n’y a pas que les petites associations qui sont touchées. Au refuge de Sassay, dans le Loir-et-Cher (41), la trésorerie tendue ne laisse, cette année, aucune marge de manœuvre. « Les frais vétérinaires restent notre plus gros poste de dépenses, surtout qu’ils ont explosé dernièrement. Nous avons cependant la chance d’avoir différentes sources de revenus, entre les conventions passées avec les mairies, les dons de particuliers, les legs et les cotisations de nos adhérents. En temps normal, cela nous permettrait de faire face à l’inflation, mais là nous avons des travaux imprévus à réaliser au refuge qui dévorent tout notre budget », explique la présidente, Elisabeth Chanal.

« Un long cycle de hausse » qui s’annonce 

Selon le baromètre du Mammouth Déchaîné, site d’informations et de conseils pour les propriétaires d’animaux domestiques, les tarifs vétérinaires en France ont augmenté en moyenne de 2,32 % entre 2021 et 2022. Un chiffre qui cache de fortes disparités entre les villes et les régions. « Cette étude a été menée entre avril et mai, avant le pic inflationniste, mais on reste sur un long cycle de hausses », expliquait Thomas Legrand, son auteur, au site Peuple-Animal.

A Boulogne-sur-Mer, le docteur vétérinaire Christophe Blanckaert travaille depuis de nombreuses années avec différentes associations de protection animale. « Cela représente environ un tiers de mon activité professionnelle », détaille-t-il. Dans sa clinique, les tarifs ont suivi le cours de l’inflation. « Partout, les prix augmentent d’environ 6%. Notre société de nettoyage a augmenté ses factures, nous avons revalorisé les salaires de nos employés et nos cotisations professionnelles vont croître. Nous allons donc appliquer une augmentation de nos tarifs en janvier 2023. Nous avons bien sûr prévenu les associations avec lesquelles nous travaillons et nous essayons de trouver des systèmes pour limiter les coûts, notamment sur les commandes de certains médicaments ou de produits d’alimentation que nous achetons en gros. »

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« On ne paie pas un vétérinaire avec des croquettes »

Pour faire face à la hausse des prix, les associations de protection animale ont peu d’option. Si certaines ont fait le choix d’augmenter leurs tarifs d’adoption, comme le refuge Augeron dans le Calvados (14), d’autres ont du mal à l’envisager. C’est notamment le cas de Sabrina Gros de la Maison des animaux : « Chez nous, l’adoption d’un chien est arrivée à 300 euros, on ne peut pas l’augmenter. Pour les gens, il y a une sorte de seuil psychologique au-delà duquel on ne peut pas aller, même si pour nous les frais augmentent. »

Reste les appels aux dons, un exercice difficile pour les petites associations. « Nous avons des dons de nourriture et de matériel, en revanche, nous manquons d’argent, explique Sabrina Gros. Mais on ne paie pas un vétérinaire avec des croquettes ! » Pour la présidente, le collecte de dons numéraires est de plus en plus complexe. « Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans la protection animale. Au début, lorsque j’étais en refuge, il y avait des dons d’argent qui arrivaient spontanément ; parfois un chèque accompagnait le courrier.  Aujourd’hui, on doit dépenser beaucoup de temps et d’énergie pour mener des campagnes d’appel aux dons, qui ne sont pas toujours concluantes. »

Une inégalité dans l’environnement associatif de la protection animale

« L’année 2022 est caractérisée par la diminution des recettes de centaines d’associations de protection animale, analyse le docteur vétérinaire et comportementaliste Thierry Bedossa, également président du refuge Agir pour la Vie Animale et administrateur bénévole de la Société protectrice des animaux. Dans ce milieu, il y a quand même une vraie inégalité entre les associations poids lourds, qui ont des budgets marketing considérables pour lancer des campagnes de collecte de dons, et les petites associations tirent la langue. »  

A cette problématique de concentration des ressources, s’ajoutent plusieurs coups durs auxquels les petites associations ont dû faire face ces dernières années : la surpression des contrats emplois aidés en 2018, les effets de la crise Covid depuis 2020, entraînant une hausse des abandons, un frein dans les adoptions et une explosion des reproductions non contrôlées des chats des rues, et désormais la hausse généralisée des prix. Au milieu de ce tableau noir, certaines associations ont heureusement pu bénéficier des subventions de l’État dans le cadre du Plan France Relance, aidant au financement de travaux ou d’équipement pour les refuges, ou aux campagnes de stérilisation de chiens et de chats. Mais cela sera-t-il suffisant pour surmonter la crise ? « Jamais autant qu’en 2022 et depuis des décennies, les associations de protection animale ne se sont trouvées aussi précarisées », alerte ainsi Thierry Bedossa.